Dans les couloirs d'Ondiane

Cela faisait bientôt quatre ans que Verit' était à Ondiane et elle s'était habituée au calme qui y régnait. Son maître était partit en mission, cela faisait bientôt trois semaines désormais, et elle commençait à se lasser des salles d'étude. Elle était la seule Faëlle de la Confrérie et cela la perturbait parfois, elle qui avait vécu seize ans sans voir d'humains, immergée dans la culture propre à sa race. Avant d'arriver à Ondiane, elle ne savait quasiment rien des traditions humaines, c'était son maître qui lui avait tout appris à ce sujet. Elle avait dû tout apprendre depuis les formules de politesse jusqu'à la cuisine et les codes différenciant les classes sociales. Parfois, elle avait l'impression de ne plus savoir si elle était Faëlle ou humaine à force de passer d'une culture à une autre, d'un mode de pensée à un autre. C'était assez perturbant.
Elle regarda par la fenêtre. Il pleuvait depuis le matin, sans une seule seconde de répit. Elle avait pris l'habitude de sortir une heure ou deux dans la journée pour aller cueillir des plantes, mais elle n'avait pas très envie de patauger dans la boue ce jour là. Les Rêveurs devaient prendre soin de leurs affaires personnelles et donc laver leur linge eux-même. Etant donné que cela faisait déjà deux jours de suite qu'elle nettoyait ses vêtements à cause du mauvais temps, elle n'était pas d'humeur à retenter l'expérience avant qu'il y ait une petite accalmie.

" Tu ne vas pas chercher des herbes aujourd'hui, Verit' ?"

C'était un rêveur libre qu'elle connaissait bien, il avait été l'élève de son maître avant elle. Il ne manquait jamais une occasion de se moquer d'elle et la prenait pour la dernière des imbéciles. Sous certains aspects, il lui rappelait son frère.

" Il faut dire que tu t'es fait trempée hier, non ? Ran m'a dit qu'une carriole est passée juste à côté de toi et que tu as été couverte de boue, c'est vrai...?"

Elle avait hâte de partir en mission. Les couloirs d'Ondiane avaient beau être calmes, elle ne pouvait jamais rêver tranquillement avec cet imbécile dans les parages. Toujours le mot pour faire plaisir. Elle le regarda s'éloigner avec son sourire en coin, bien satisfait de lui-même malgré la médiocrité de ses attaques verbales - si on peut appeler ça "attaque".
Dans la cour intérieure, elle observa un moment une pie qui mangeait dans la gamelle d'un chuchoteur avant de se remettre à son rouleau de parchemin concernant les plantes carnivores présentes dans la jungle d'Hulm.

Siofra n'avait pas encore trouvé de mission, et on l'avait rappelée à Ondiane pour une affaire d'une importance minime... Ils auraient put appeler n'importe qui, mais l'avaient proposé a Sio' qui avait accepté bien rapidement... Ce n'est pas que Al-Vor ne lui plaisait pas, loin de là, mais elle commençait a s'ennuyer, elle ne trouvait pas de gens dans le besoins, et il y avait beaucoup trop de monde... Pour une jeune femme qui venait d'un petit village et qui avait passé 4 ou 5 ans à vivre en autarcie avec de vieux rêveurs, ça changeait.

Ce jour là, il pleuvait. La jeune rêveur aux cheveux rouges s'était dépêchée d'accomplir sa tâche, avec beaucoup d'application cependant, pour profiter un peu du temps.
Cendre ne supportait pas les trop grosses chaleurs, et la pluie était un vrai bonheur pour elle.
Elle s'assit dans le jardin extérieur, levant les yeux au ciel et regardant la pluie tomber sur son visage heureux.

Au bout d'un certain temps, elle se décida enfin a rentrer. Alors qu'elle passait dans la cours intérieure, elle croisa un rêveur libre qu'elle ne connaissait que très peu, mais qui l'agaçait au plus haut point. Étant donné que les femmes ne sont pas nombreuses a Ondiane, il prenait un malin plaisir a toutes les taquiner plutôt "lourdement". Sio' lui adressa un sourire forcé avant de reposer les yeux sur la cour intérieure. Elle y aperçu une jeune Faël qui étudiait... Curieuse, Siofra s'approcha d'elle. Elle croyait bien l'avoir déjà croisée, elles étaient apprenties un peu près en même temps, mais ne c'étaient jamais vraiment parlé.
Cendre lut quelques lignes par dessus son épaule. "Les plantes carnivores de la plaine d'Hulm"... Un petit sourire sur les lèvres, Siofra se pencha discrètement sur l'oreille de la jeune Faël et fit claquer ses dents bruyamment avant de reculer vivement avec un grand sourire.

Verit' eut un violent sursaut. Au moment même où elle lisait un paragraphe concernant une plante carnivore géante particulièrement belliqueuse et friande de chaire humaine, elle entendit un claquement de dents tout prêt de son oreille. Elle sursauta si fort qu'elle bascula de son tabouret, le parchemin toujours à la main. Ce dernier émit un bruit sinistre en se déchirant de moitié sous les yeux horrifiés de Verit'. Il ne fallait surtout pas que son maître voit ça, ou il allait la tuer. En effet, c'était l'un des rouleaux de sa collection personnelle qu'il lui avait généreusement prêté durant son absence.

Pas qu'elle regrette particulièrement cette lecture plutôt déprimante sur les moyens de prélever les sucs digestifs de l'un de ces monstres sans se faire manger ni abîmer le spécimen, mais bon. C'était quand même assez intéressant, assez intéressant pour la faire comprendre qu'il ne faut absolument pas pénétrer dans la jungle d'Hulm, sauf si on veut se suicider.

Elle poussa un léger soupir. Après tout, ce n'était pas un drame, ce ne serait pas la première fois qu'elle se ferait réprimander par son maître, ni la dernière, d'ailleurs. Elle leva la tête et découvrit une jeune femme rousse qui semblait rire. Elle se mit à rire à son tour, sa bonne humeur retrouvée. Après le passage de l'autre imbécile, rien ne valait une bonne dégringolade de tabouret pour retrouver le sourire.

" Bonjour !"

C'était la première fois qu'elle voyait une rêveuse à Ondiane (ou pas, elle n'avait pas une très bonne mémoire pour ces choses là. En fait, il était fort possible qu'elle l'ai croisée une ou deux fois...voir plus). Enfin, peut-être qu'elle en avait vu d'autres, mais elle n'avait pas dû remarquer que c'était des femmes. En effet, les femmes de la guilde des Rêveurs avaient tendance à devenir à tel point androgyne qu'on ne les distinguait plus des hommes.
Elle était plutôt contente de constater qu'elle n'était pas la seule. Après quatre ans passés à la Confrérie dans l'austérité et le sérieux, quelqu'un qui lui faisait une blague était forcément de bonne compagnie.

" Je croyais que c'était une Tarutenlus Capricius qui m'attaquait !!"

Elle riait, mais elle avait encore son coeur qui battait la chamade en contre-coup de la peur qu'elle avait eu. Sauf qu'une Tarutenlus Capricius attrapait ses proies avec ses lianes gluantes et qu'elle n'aurait sûrement pas eu le temps de tomber de sa chaise si elle avait été confrontée à un monstre pareil. De plus, il n'y en avait pas dans le coin, et heureusement.

[excuses moi c'est court =)]

Siofra ne put retenir un rire frais et cristallin qui s'éteignit rapidement quand elle vit que la jeune Faëlle avait déchiré le parchemin qu'elle tenait en tombant. Zut alors... En voyant la tête de la jeune femme, elle crut comprendre qu'il appartenait a son maître... Elle aussi avait eu le malheur d'abimer un ouvrage que son ancien maître lui avait confié... Elle avait alors crut que son dernier jour était arrivé.
La Faëlle se retourna en lui souriant, ce qui plut énormément a Cendre... Quel soulagement, un moment elle avait pensé que la jeune femme lui en voudrait... Ce qui serait compréhensible.

-Bonjour!

Son ton enjoué et léger se mariait parfaitement avec les pétillements de ses yeux ravis. Cela faisait combien de temps qu'elle n'avait pas parlé a une rêveuse? En avait elle déjà abordée une?
Quand la rêveuse lui dit qu'elle avait crut a une Tarentulus Capricium elle lui répliqua joyeusement que c'était le but recherché.
Cendre vint s'assoir sur le sol a côté de la jeune femme, passant une main dans ses cheveux humides avant de reprendre la parole.

-Moi c'est Siofra.

*On a de plus en plus de rêveuse... Si ca continu on serait peut être aussi nombreuses que les rêveurs... Heu, non il ne faut pas trop espérer tout de même...*

(bah, c'est pas grave ^^)

- Verit', enchantée.

En quatre ans chez les humains, elle n'avait toujours pas cerné les différentes manières de se présenter, surtout que cela avait tendance à changer selon l'âge ou le statut de la personne. Du coup, elle se bornait à dire "enchantée" à tout le monde, en pensant que cela convenait à tout type de rencontre. Les Faëls, eux, se contentaient de s'incliner avec plus ou moins de profondeur selon le rang de la personne. Elle trouvait cela beaucoup plus simple, quand même.
La jeune femme, Siofra, était trempée, à tel point que ses cheveux dégoulinaient sur le plancher. Ce n'était pas étonnant, vu le temps, mais elle avait l'air d'être restée sous la pluie longtemps et sans prendre la peine de s'abriter. Elle faisait cela elle aussi, il y avait longtemps maintenant, mais sa grand-mère se mettait toujours dans de ces colères quand elle rentrait... Mais elle aimait la pluie sous les arbres, avec le bruit de l'eau sur les feuilles, comme une musique tribale. Depuis qu'elle était à Ondiane, elle avait l'impression que les arbres ne "sonnaient" pas de la même façon que chez elle, dans le Pays Faël. Cela lui manquait parfois, même si la région des grandes plaines était très belle.

- C'est rare de voir des rêveuses dans le coin... A vrai dire, je n'étais pas sûre qu'il y en avait d'autres à Ondiane. Tu as fait tout ton apprentissage ici toi aussi ? Je n'ai pas l'impression de t'avoir déjà vue en tout cas... Mais je suis assez tête en l'air, alors je ne fais pas trop attention à ce qu'il se passe autour de moi... J'ai surtout du mal à me souvenir du visage des gens, ce n'est pas très pratique.

Elle riait. Pourquoi il avait fallut qu'elle révèle son point faible d'emblée ? Elle n'avait jamais été douée avec les gens, c'était une évidence. Se souvenir du nom d'une personne, cela ne sert absolument à rien si on ne se souvient pas du visage auquel il appartient. Elle avait ainsi vexé bon nombre de gens sans le vouloir. Son maître lui avait conseillé de constituer un carnet de portraits - il l'avait proposé en désespoir de cause, quand elle ne l'avait pas reconnu au bout de trois mois d'apprentissage. Finalement, elle le reconnaissait sans faute désormais. Après bientôt cinq ans, cela aurait été inimaginable de ne pas se souvenir de la tête de quelqu'un - ou pas. Mais cette fille là avait les cheveux rouges, c'était vraiment une aubaine pour Verit'. Elle n'aurait vraiment aucun problème pour la reconnaitre, sauf s'il y avait une invasion de filles aux cheveux rouges à Ondiane, ce qui serait tout de même assez étonnant.

Siofra sourit en écoutant la jeune Faëlle... Elle ne savait pas très bien se vendre, mais c'était mignon. Elle la regarda d'un air dubitatif avant de reprendre la parole.

-J'ai commencé mon apprentissage il y a 4 ou 5 ans et je crois bien t'avoir déjà croisée bon nombre de fois... Mais c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de rêveuses à Ondiane et encore moins des rêveuses Faêlle... Tu dois être la première que je croise ici... Je suis ravie de faire ta connaissance.

Elle lui adressa un magnifique sourire. Ses propos étaient un peu confus, mais tout le monde savait bien qu'au fond, Sio' était encore une toute petite fille et une vrai pipelette, alors on peu dire que c'est normal.
Elle pencha la tête sur le côté alors qu'une question lui venait a l'esprit.

-Qu'est ce qui t'a poussée a devenir rêveuse? C'est pas très attrayant comme ça de prime abord, vivre en autarcie dans une communaute de "mâles" sages et désintéressés de tout ce qui fait les petits plaisirs de la vie...

Elle avait dit tout cela avec un immense sourire aux lèvres... Ce n'est pas comme cela qu'elle voyait tous les rêveurs, mais avouons qu'une bonne partis répondaient aux critères qu'elle venait d'énoncer. Ce n'est pas que cette vie n'est pas intéressante, loin de là, mais un peu de piquent ne fait pas de mal tout de même...
Elle, elle se rappelait encore de la première fois où elle avait vu un rêveur, et du respects que les autres itinérants avaient pour lui... C'est cela qui l'avait décidée...

Siofra écoutait la jeune faëlle avec attention. Elle trouvait les coutumes des autres peuples passionnantes et risquait bien de lui poser tout un tas de question, un peu plus tard.
Si elle voulait expliquer a Verit' pourquoi elle était devenue rêveuse, il fallait qu'elle remonte un peu plus loin que sa première rencontre avec un rêveur. Elle se jeta donc dans son récit.

-J'ai grandit à Al-Vor. Mes parents tenaient une taverne et donc, je les dérangeais quand ils travaillaient. Du coup je suis vite sortie trainer dans les rues pour mes faire des amis de mon âge et m'occuper un peu. On trainait souvent autour des caravanes d'itinérants qui s'arrêtaient en ville. Un jour, en plus des guerriers qui escortaient quelques commerçants, il y avait un rêveur. J'ai était subjuguée par tout le respect qu'avaient les autres membres de l'expédition pour lui, et le soir ils sont venus manger dans l'auberge de mes parents.
J'en ai profité pour aller voir ce rêveur et lui demander quel était son rôle dans la caravane. Je l'ai bombardé de questions et ai trouvé ses réponses a mon gout.

Elle lui sourit a nouveau, passant une fois de plus une main dans ses cheveux humides, les rejetant en arrière. Elle aimait la pluie, mais celle qui tombait du ciel, pas celle qui dégoulinait de ses cheveux sur son visage et ses épaules.

-Après cela, les petits boulots se sont succédés, j'ai acheté un cheval quand j'ai eu assez d'argent, et j'ai chevauché jusqu'à Ondiane, par chance ce n'est pas très loin d'Al-Vor... J'ai bataillé pour trouver un maître qui m'accepte comme élève, mais je n'ai jamais retrouvée le rêveur de l'expédition, il doit encore être sur les routes... Je suppose.

Quel chance il avait ce rêveur mystérieux. Sio' cherchait sans relâche un caravane qui aurait besoin d'un rêveur, elle voulait voir du pays, voyager avec des gens qui avaient d'autres centres de préoccupation que leurs parchemins et leurs jardins.