Ballade en forêt [forêt de Baraïl]

Alvinya avançait d'un pas vif, elle se sentait oppressée dans cette forêt luxuriante, comme si une multitude d'yeux la suivaient à chacun de ses pas. Tant de champignons intacts lui semblaient profondément louches, pour qu'ils soient si bien portants, ils devaient certainement être toxiques pour la plupart, voire mortels. Elle leur lança un regard mauvais, ce qui lui valut de se prendre les pieds dans une racine et de s'étaler de tout son long.

°Ouch. J'en ai marre!°

Peu fière de la vilaine égratignure qu'elle venait de récupérer, qui l'aurait fait rougir de honte si elle avait eu d'autres témoins que ces Eumycètes assoiffés de vengeance (et aux yeux rouges imbibés de sang -en fait non, c'était simplement son imagination qui lui jouait des tours).

Elle sortit du sentier d'un pas rageur et reprit sa route en tapant des pieds, éparpillant des débris de champignons sur son passage.

°Vengeance...°

Epuisée, Alfinia s'effondre sur une souche d'arbre.

*Je suiissss perduuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuue*

Complétement désemparée, elle en profite pour se passer les nerfs sur la flore locale, la faune ayant quant à elle activé ses pattes pour se carapater.

Désespérée, elle s'allonge et observe les frondaisons d'un oeil rêveur, s'abandonnant à son malheur dans cette forêt perdue, trop tranquille et trop paisible pour que cela soit naturelle, une fine larme cristaline glissant lentement sur sa joue.

Mais une pensée insinueuse s'infiltre dans son cerveau, lui signifiant que :
1) elle a tellement massacré de champignons sur sa route que son trajet restera visible pendant au moins les deux mois à venir...
2) les arbres ne se coupent pas tout seul à l'horizontal, s'il y a une souche il y a bien un village dans les environs...
3) la mousse sur les arbres est relativement asymétrique...

Parfois la fierté pousse à faire des actions irréfléchies, ainsi Alvinya reste-t-elle étendue à la merci des prédateurs, plutôt que d'affronter l'immensité de sa bêtise et la honte qui en découle.

Mais les jeux de lumières du soleil dans les branches renferment une apaisante berceuse et Alvinya s'endort, en songeant qu'en cela peut-être réside un quelconque danger dans cette forêt, qu'elle espère fortement, s'il existe, n'affronter qu'en songe...

Alvinya ouvrit un oeil rêveur, en prise à un demi-songe :

Ne criez pas vous aller faire peur aux arbrisseaux...


Elle se réveilla brusquement, et leste, se remit sur ses pieds d'un bond. Toisant l'intruse du haut de sa souche comme s'il eut s'agit d'un piédestal d'or, elle riposta :

Je dors où je veux! Les bois sont à moi! Et puis d'abord, ça ne se fait pas de réveiller les gens!

La mine boudeuse, Alvinya se renfrogna et envoya valser d'un coup de pied un champignon innocent.

La réaction de l'ex-dormeuse ne lui tira qu'un mince sourire fortement sarcastique, associé à un "Ben voyons..." très peu convaincu...
Elle avait presque l'impression de se trouver devant une enfant qui jouait à... comment dire... arracher les fleurs et herbes autour d'elle?
"Ces bois ne sont à personne, en aucun cas à toi, et je réveille qui bon me semble quand bon me semble.
Qu'est-ce que tu fais là autrement?"
Étrange façon d'engager une conversation, en effet, mais elle ne voyait pas vraiment l'utilité de se creuser le crâne pour rien... ou pas grand chose...
Elle s'appuya contre un arbre proche... Peut-être qu'elle devrait voir à améliorer sa sociabilié... Mais était-ce nécessaire?

Miens sont ces bois tant que nul autre ne les réclame! s'emporta la jeune fille.

Peut-être avait-elle dormi trop longtemps, ses pensées lui semblaient confuses, embrumées. Elle dévisagea l'intruse une demi-éternité.

Je vis ici... ajouta-t-elle finalement sur un ton sincère et légèrement indigné, comme si elle ne se souvenait qu'alors, qu'on lui avait adressé la parole.

Et pour quelle raison, osez-*vous* troubler la paix de ces lieux?

J'étais affreusement fatiguée... Et puis ce lieu en vaut un autre pour en finir avec la vie, non? Je m'étais donc résignée à finir mes jours ici..., déclara-t-elle posément, avec un ton légèrement affectée, comme si elle parlait d'une lointaine connaissance, morte des décennies auparavant.

Mais je n'aurais pas pris cette peine si j'avais su que tout ce que je risquais était de me faire réveiller par une gamine acariâtre, pensa-t-elle tout haut.

Illuin? Charmant endroit, n'est-ce pas? J'y retournerais avec plaisir..., mentit-elle sur un ton mielleux, mais mes pas me retienne ici...

Mélancolique, elle observait Lanfear avec curiosité, comme on observe une espèce exotique inconnue. Et pas un instant elle ne se sembla se souvenir qu'elle avait pris un jour la route du lac Chen.

Alvinya mit un instant pour éluder la question, les yeux perdus dans le vague. Elle reporta son attention sur Lanfear et répondit :

Peut-être... je ne sais plus trop. Je suis presque sûre que non mais il me semble que si?

Le ton de sa voix avait l'incertitude des enfants qui ont peur de dire une bêtise, et attendent que l'on acquiesce à leurs propos pour en dire davantage.

Mais si j'étais perdue je le saurais non? Et si je n'étais pas perdue, je le saurais aussi? Ou bien je serais perdue de ne savoir si je le suis. Auquel cas je le saurais et ne le serais pas.

Je ne suis donc pas perdue! conclut-elle avec un sourire triomphant.

Par contre j'ignore où je me trouve, précisa-t-elle sur un ton peiné.

Nergal qui n'avait rien d'autre à faire depuis un moment (on refourgue toujours des missions au plus rapide et Nergal préfère torturer longtemps et prendre son temps) suivait la piste des champignons quand il sentit deux présences. Il monta dans un arbre quand il s'appercu qu'une des deux jeunes filles n'était autre que Lanfear. Il entreprit donc de la rejoindre avec sa discrétion habituelle, c'est à dire en sautant de l'arbre

Citation :

cfrac

(bruit de l'atterrissage)

Bonjour Lanfear, comment vas-tu, tu cueilles des champignons ?

°Kyaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah...°

Alvinya fit un bond en arrière, ravageant au passage quelques rares champignons survivants. Elle fit quelques pas sur le côté, se déplaçant en arc de cercle, jusqu'à ce que Lanfear soit entre elle et Nergal.

Entendant les propos de ce dernier, elle jaugea Lanfear du regard, comme si son opinion sur cette dernière s'en trouvait grandement modifiée.

°Cueillir des champignons? C'est bizarre, elle avait pas l'air suicidaire...°

En un bond agile elle se rapprocha légèrement, en grimpant dans les branches d'un arbre. Mettre un mètre entre elle et eux, lui semblait comme être une précaution de maître non superflue.

Ne vous inquiétez pas pour moi, je ne suis pas si facile à tuer, répondit Alvinya, avec dans la voix, la lassitude mélancolique qui lui était coutumière.

Et c'est une chance, car je ne vois pas vraiment en quoi son emploi du temps de la veille l'indispose à tuer des gens, ajouta-t-elle sur un ton calme.

Elle ne descendit pas pour autant de son perchoir, balançant nonchalamment ses jambes dans le vide.

Elle darda sur l'intrus un regard mauvais autant que soupçonneux, voyant qu'il la dévisageait et le voyant marmonner quelque chose à Lanfear, elle lui aurait volontier balancé un champignon mais ceux-ci se trouvaient -heureusement pour eux- hors de sa portée.

"Peut-être", en effet, c'est bien ce que j'avais cru comprendre. répliqua-t-elle avec un sourire mielleux.

Nergal lui inspirait autant confiance qu'un champignon moisi, aussi resta-t-elle sur sa branche.

Le monde est petit, n'empêche... J'aurais jamais pensé qu'il y avait tant de passage par ici...

Elle scruta les deux autres du regard, se demandant sérieusement si tous deux n'étaient pas arrivés là, en suivant le sentier qu'elle avait tracé en piétinant les champignons...

Mais il n'en restait pas moins que les deux autres avaient l'air de se connaître...

Vous la suiviez!? asséna-t-elle en pointant sur Nergal un doigt accusateur.

°Ou vous deux, me suiviez?!°

Après quelques instants, voyant que Nergal ne faisait pas mine de revenir, Lanfear se décolla de son arbre pour se rapprocher de celui de la faëlle...

"Et maintenant qu'il est parti, tu vas peut-être redescendre non? Il te faisait si peur que ça?"

Elle leva la tête en attendant une réponse...
*Il n'y a vraiment aucune raison pour que Nergal me suive, d'ailleurs, quand bien même ce serait le cas, il n'aurait pas nié ainsi, enfin je pense, et il ne l'aurait pas fait de lui-même, probablement pas... Sur ordre alors... Mais de qui...?
Puis, je me demande qui est son élève, et son niveau... *

Alvinya scruta les arbres entre lesquels avait disparu Nergal bien après qu'il ne soit plus visible. Non pas qu'elle craignit qu'il réapparaisse aussitôt mais simplement parce que le fil de sa pensée l'avait entraîné plus loin et qu'elle ne se souvenait plus réellement de ce qu'elle regardait alors.

Alvinya hésita un instant et secoua la tête.

Non je n'ai pas peur de lui... Il est *peut-être* dangereux... Mais effrayant, non.

Elle se laissa glisser sur une branche plus basse.

Peut-être le bon sens aurait-il pu pousser Alvinya à percevoir la sagesse des propos de Lanfear, mais l'un comme l'autre faisait cruellement défaut à Alvinya.

Elle secoua la tête.

Non, cela ne me gênait pas, tant que je sais que je ne le sais pas. À vrai dire, avant ton arrivée, cela ne m'avait même pas effleuré l'esprit, répondit-elle penaude.

Adieu, alors...
Et elle se tourna vers Lanfear, prête à gambader joyeusement dans la direction indiquée, mais son au revoir avait l'intonation d'une question.